Si les Lumières ont amorcé une évolution de la société, les époques et les découvertes qui vont suivre vont façonner profondément ce qui va devenir notre monde moderne, et les changements en matière d’éclairage public feront partie de cette révolution !
En effet, l’apparition de l’éclairage artificiel, comme des milliers d’inventions rien que dans ce domaine au 19e siècle, bouleversera radicalement la perception du monde nocturne. Même si une hiérarchie naturelle va progressivement s’imposer, ces innovations vont s’articuler les unes avec les autres, parfois s’utiliser conjointement – et cela n’est pas sans danger …
L’éclairage au gaz : les débuts d’une Révolution Industrielle
Le 19e siècle voit apparaitre plusieurs technologies qui vont radicalement changer le paysage économique et sociétal de l’époque. L’une d’entre elles est le gaz de houille, plus communément appelé « gaz de ville ».
La découverte du gaz de houille, aux alentours de 1800, est accordée à plusieurs hommes et fait débat : William Murdoch, Philippe Lebon, Frédéric-Albert Winsor, Jan Pieter Mickelers.
Ce gaz manufacturé provient d’usine à gaz/cokeries et contraste avec ce que nous connaissons actuellement comme étant le gaz naturel, présent à l’état naturel dans le sous-sol terrestre, et qui va progressivement remplacer le gaz de houille en cours de siècle.
Dans un premier temps, le gaz de houille remplace l’éclairage à l’huile. D’abord issu de végétaux, tels que le colza – pouvant provoquer un danger suite à sa combustion et sa transformation en gaz sulfureux – il est par la suite souvent d’origine animale. Issu des baleines, il s’agit là d’un commerce florissant mais destructeur de la faune marine. En 1853, la lampe à pétrole fait son apparition pour l’usage domestique et remplace progressivement l’huile par du kérozène.
Changement sociétal et premiers dangers …
Cette nouvelle forme d’éclairage a amené un nouveau métier, celui « d’allumeur de réverbère » ou « falotier ».
Métier précaire et soumis aux intempéries, ses horaires étaient régis par le préfet de police. Munis d’une perche et d’une échelle, la journée des falotiers commençait par l’extinction des dernières lumières, le nettoyage des lanternes avant de recommencer le soir par l’allumage des réverbères, le tout de manière chronométrée. Ce métier disparut progressivement avec l’apparition de l’éclairage public électrique. [1]
Mais l’éclairage au gaz, bien que révolutionnaire et appliqué à grande échelle, n’était pas sans danger.
Plusieurs drames survenus, notamment durant l’année 1881, à l’Opéra de Nice ou au Ringtheater de Vienne, causèrent plusieurs centaines de morts à la suite d’explosions. [2] Un autre des inconvénients du gaz de houille était son odeur « d’œuf pourri » due au sulfure d’hydrogène ; il avait également tendance à noircir les métaux et les peintures, ce qui occasionnait de nombreux dégâts aux décors intérieurs.
L’effervescence nouvelle à l’égard de l’éclairage artificiel fut très souvent décrite par les grands auteurs de l’époque comme Émile Zola, Guy de Maupassant ou encore Gustave Flaubert. Dans l’Éducation sentimentale, ce dernier écrivait :
« On arriva bientôt sur le pavé. La voiture allait plus vite, les becs de gaz se multiplièrent, c’était Paris »
La lumière et forme vacillante de l’éclairage au gaz a inspiré les artistes du 19e siècle et l’arrivée de l’électricité à l’apparence très différente déconcertât plus d’un contemporain.
L’arrivée de La Fée Electricité
Les nombreux accidents publics et domestiques, ainsi que les désagréments esthétiques du gaz vont entrainer un changement progressif vers cette nouvelle technologie qu’est l’électricité.
Après de premières expériences et observations au 18e siècle, le courant électrique sera réellement maitrisé durant le 19e siècle, ce qui provoqua l’avènement de la seconde Révolution Industrielle.
Premiers réverbères électrique : la lampe à arc
L’arc électrique est découvert en 1809 par Sir Humphry Davy, mais les premiers appareils d’éclairage à arc efficaces ne seront mis au point qu’en 1844, par Foucault. D’abord très couteux (changement toute les 7 heures), ils seront améliorés au fur et à mesure des années pour arriver à une rentabilité de 150 heures.
Contact entre deux baguettes de charbon reliées aux deux pôles d’une batterie Volta, un courant d’air chaud ascendant dessine une flamme en forme d’arc. © Megedoudeau
« Une révolution radicale semble être sur le point de se produire dans l’éclairage de la voie publique à Paris : la substitution de la lumière électrique à celle du gaz […] et je le regrette. En effet, la lumière électrique a un ton blafard, lunaire, […] déplaisant. »
Les Mémoires du Baron Hausmann
Lors de l’Exposition Universelle de 1878 à Paris, les premières « lampes à arc » pourvues de bougies Jablochkhoff – du nom de son inventeur – qui permettent de doubler l’autonomie, va surprendre le public par son intensité et sa couleur, proche de celle de la lumière naturelle. [3]
« Le 31 mai 1878, à neuf heures du soir, trente-deux globes de verre émaillé, placés entre les réverbères le long de l’avenue de l’Opéra, s’allumèrent instantanément et projetèrent autour d’eux une douce et brillante lumière blanche : les réverbères à gaz ressemblaient à des lampes fumeuses et les rues environnantes paraissaient plongées dans l’obscurité. »
Cet éclairage urbain provoqua une révolution, par son mobilier nouveau (réverbères, poteaux d’acier portant les puissantes lampes à arc, puis kiosques éclairés, enseignes …), de même qu’un changement sociétal, en favorisant la mise en place d’une vie nocturne. A contrario, l’éclairage électrique a permis l’allongement des journées de travail puisque les ateliers étaient désormais bien éclairés et, surtout, parce que l’on pouvait se permettre de relâcher les travailleurs dans la rue après la tombée de la nuit. [4]
Candélabre au gaz du Pont Alexandre III à Paris, 1896-1900 © Latelierdescouleurs.net
La Lumière artificielle : objet de fascination artistique
L’électricité transforme profondément le paysage urbain et sert, durant des décennies, l’inspiration privilégiée des peintres. Ainsi, les artistes figent sur la toile cette modernité naissante comme le miroir d’une société emportée par le courant de la modernité, une époque que les historiens nommeront plus tard Révolution industrielle, et les milieux culturels, Impressionnisme. [5]
Invention de la lampe à incandescence – l’ampoule électrique moderne
La lampe à arc avait cependant ces limites. En effet, celle-ci était d’une grande intensité et nécessitait une haute tension ne pouvant être utilisée que dans de grands espaces et ne convenant pas à un usage domestique. La lampe à incandescence répondra à ces problèmes.
Inventée en 1879 par Joseph Swan, l’ampoule à incandescence ne sera produite à échelle industrielle que quelques mois plus tard… par un certain Thomas Edison ! Sa révolution ? Un filament conducteur en carbone contenu dans une ampoule où on a réalisé le vide.
Le 23 décembre 1924, les 4 leaders du marché mondial de fabrication d’ampoules (Philips, Osram, la Compagnie des Lampes et General Electric) se réunissent en Suisse afin de créé le « Cartel Phœbus ». Les industriels s’accordent ainsi sur une charte commune afin de fabriquer des ampoules de « 1000 heures » pas plus, alors que la moyenne de l’époque était de 2500 heures. Cette réunion est aujourd’hui actée comme la première initiative industrielle connue d’obsolescence programmée. [6]
Progressivement le courant alternatif s’impose et le paysage urbain se modifie, avec ses nouveaux dangers. La multiplication des câbles électriques dans les rues va provoquer de nombreux accidents mortels et l’obligation de les enterrer va se généraliser à partir de 1889 en France. [7]
Durant ce siècle, les trois principales méthodes d’éclairages que sont l’huile, le gaz et l’électricité vont se chevaucher et s’utiliser conjointement, avec parfois des dangers quant à leur utilisations simultanées … Mais, naturellement le gaz va prendre le pas sur l’huile, et l’électricité prendre le pas sur le gaz.
Sources
[1] BELTRAN Alain, Le gaz de ville et sa lumière vus du XIXème siècle, [En ligne] (Source)
[2] Le gaz d’éclairage, [En ligne] (Source)
[3] LE MOELLIC Jean-Jacques, La lampe à arc, [En ligne] (Source)
[4] “Les Lumières de la ville”, Le Journal des Arts, n°551 Septembre 2020, [En ligne] (Source)
[5] Les Couleurs de la Nuit, Exposition “Nuits Electriques”, MuMa, LeHavre, 3 Juillet – 1er Novembre 2020, [En ligne] (Source)
[6] DANNORITZER Cosima, Le cartel Phoebus et les lampes à incandescence, [En ligne] (Source)
[7] BORVON Gérard, L’Exposition International d’électricité de 1881 à Paris, [En ligne] (Source)