La lumière, et plus largement l’éclairage, fait partie de nos vies mais aussi de notre Histoire. Si la maîtrise du feu a amorcé l’évolution de notre espèce – lui permettant notamment de continuer à s’éclairer une fois la nuit tombée –, la lumière artificielle a permis à l’homme de doter son environnement des conditions de luminosité nécessaires à ses activités, à sa sécurité et à son agrément… Tout en le bouleversant.
Retour sur un couple vieux comme le monde : l’éclairage public et la pollution lumineuse.
Le processus de colonisation de la nuit a débuté avec la domestication du feu au Paléolithique. À partir du 2e siècle après Jésus-Christ, de grandes cités romaines possèdent un éclairage ponctuel, qui aurait ensuite reculé durant le Moyen Âge. Les premiers luminaires auraient été installés dans les rues aux 15e et 16e siècles mais c’est au siècle suivant, durant la seconde moitié du 17e siècle, que l’éclairage public est mis en place dans les grandes villes européennes.
Antiquité et Moyen-Âge : prémisses et soubresauts
Entre le Paléolithique, au cours duquel l’homme apprend à domestiquer le feu, et l’époque médiévale, l’obscurité n’a pas été apprivoisée, mais elle s’est adoucie, pour le moins dans les grandes villes, dès le 2e siècle après Jésus-Christ. Les rues, les maisons et les édifices publics pouvaient être éclairés à grande échelle ; ainsi, à Rome, des spectacles nocturnes étaient régulièrement donnés et les thermes étaient également quelquefois ouverts la nuit[1]. Dans et autour des cités antiques illuminées, on observe déjà que les oiseaux tournoient autour des phares et que les papillons sont attirés par les lumières.
« Où l’éclairage de nuit rivalise avec la clarté du jour ! »
Citation d’Ammien Marcellin au sujet de la ville d’Antioche, Livre XIV, I, 9.
La période médiévale est relativement pauvre en sources pouvant révéler l’existence d’un éclairage artificiel élaboré. Pourtant, quelques traces subsistent. C’est ainsi qu’en 1258, afin de palier au problème d’insécurité des villes, le roi de France Saint-Louis émet une ordonnance par laquelle « chaque propriétaire était tenu d’éclairer par un pot à graisse la façade de sa maison sous peine d’amende et de prison »[2], initiative qui rencontre peu de succès auprès des populations, qui rechignent à assumer de nouvelles dépenses et craignent les potentiels risques d’incendies. En réalité, jusqu’à la fin du Moyen Âge, la lumière artificielle reste un privilège dont l’usage est réservé aux puissants et à l’Église[3]. Aussi, le manque de démarches réussies en matière d’éclairage public durant l’ère médiévale s’accompagne d’une absence de témoignages quant à d’éventuelles observation de pollution lumineuse.
Durant la Renaissance, les entreprises pour éclairer davantage les espaces publics n’eurent guère plus de succès. Les ordonnances se succédèrent sans quelles ne soient véritablement respectées.
Temps modernes : le règne de la lumière
L’histoire de l’éclairage public prend un virage déterminant sous le règne de Louis XIV. En effet, le sentiment d’insécurité qui survient une fois la nuit tombée ne cesse d’inquiéter et oblige le souverain à prendre des mesures drastiques, notamment dans la capitale française. Dans une ordonnance datant de 1662, on raconte :
« Les vols, meurtres et accidens qui arrivent journellement en nostre bonne ville de Paris faute de clarté suffisante dans les rues, et d’ailleurs la plupart des bourgeois et des gens d’affaire n’ayant pas les moyens d’entretenir des valets pour se faire éclairer la nuit, pour vaquer à leurs affaires et négoce ».
Établissement de porte-flambeaux et porte-lanternes à louage dans la ville et faubourgs de Paris et toutes autres villes du royaume par lettres patentes du roi vérifiées en Parlement, et règlement fait par ladite cour des salaires desdits porte-flambeaux et porte-lanternes, 14 octobre 1662.
En 1666, les autorités françaises mettent donc en place un véritable programme d’illumination de l’espace public ; elles disposent ainsi un arsenal de près de 500 lanternes garnies de chandelles qu’elles placent au milieu et aux deux extrémités de chaque rue de Paris. La même année, et ce afin de célébrer les mesures prises pour éclairer les rues des villes de France, on frappe une médaille :
À partir de la seconde moitié du 17e siècle, d’autres grandes villes européennes commencent à s’éclairer.
Amsterdam établit durablement l’illumination publique en 1669 ; Hambourg, en 1673 ; Turin et Bruxelles, en 1675 ; Berlin, en 1682 ; Copenhague, en 1683 ; Londres, entre 1684 et 1694 ; Vienne, en 1688 ; Hanovre, entre 1690 et 1694, et Dublin en 1697.[5]
Parallèlement à cette lente généralisation d’un éclairage artificiel urbain, de nombreux scientifiques se penchent sur les aspects physiques de la lumière ; de quoi est-elle faite ? Comment son intensité et sa couleur varient-t-elles ? D’autres, comme l’astronome français Jacques d’Ortous de Mairan, se questionnent sur l’impact de la lumière sur les plantes. Ainsi, en 1729, il observe que le mimosa s’ouvre à la lumière du soleil et se referme sur lui-même dans l’obscurité, même lorsqu’il est en- fermé dans un carton isolé de la lumière. Cette plante héliotrope n’est donc pas uniquement sensible à la lumière du soleil, mais aussi à un mécanisme biologique propre que l’on qualifie d’«horloge interne»[6].
Très vite, les lanternes à chandelles font place aux lampes à huile, plus durables et moins onéreuses.
Première généralisation de l’éclairage public : la lanterne à huile
En 1759, le comte Charles-Marie-Antoine de Sartine, lieutenant de police de Paris, impose le remplacement des chandelles à mèche charbonnée par de l’éclairage à l’huile. Dans la foulée il lance un concours récompensé de 2000 livres dont le gagnant sera celui qui trouvera la meilleure manière d´éclairer Paris pendant la nuit en conciliant ensemble la clarté, l´économie et la facilité de service. Bourgeois de Châteaublanc propose dans le cadre de ce concours une lanterne utilisant le principe du réverbère, inventé 20 ans plus tôt. Son modèle est récompensé en 1766 par l’Académie des Sciences. L’éclairage fourni par la lanterne de Châteaublanc est jugé équivalent à 30 chandelles.
Entre 1769 et 1782, on fait installer 1200 réverbères de Chateaublanc à huile dans les rues de Paris. Ces lanternes étaient constituées d’une à quatre mèches dépendant de l’endroit à éclairer. Les lanternes étaient suspendues au milieu des petites rues à l’aide de fils transversaux ou sur des consoles en fer. Les lanternes étaient allumées et surveillées pendant la nuit par des gagne-derniers (employés de la rue) qui se voyaient confiés 20 lanternes chacun. Très vite, ce système se répand en province.
A cette époque, on parle déjà d’économie d’énergie et en 1788, l’huile de tripes est remplacée par de l’huile de colza, moins coûteuse, moins nauséabonde et fournissant une flamme plus blanche. De nombreux problèmes subsistent néanmoins. Les écoulements d’huile brûlante provoquent de nombreux accidents, les lanternes répandent toujours une odeur peu agréable et sont de plus vulnérables à une extinction lors d’un coup de vent.
Entre temps, la plupart des lanternes à huiles existantes sont détruites durant la Révolution Française de 1789. Il faudra attendre le 19e siècle et les premiers tournants de la Révolution Industrielle pour que le développement technique de l’éclairage public évolue.
Sources
[1] HOMO Léon, Rome impériale et l’urbanisme durant l’Antiquité, Paris, Albin Michel, 1971, p. 581-584.
[2] BAST Amédée (de), Merveilles du génie de l’homme, découvertes, inventions : récits historiques, amusants et instructifs sur l’origine et l’état actuel des découvertes et inventions les plus célèbres, Paris, Paul Boizard, 1855, p. 166, [En ligne] (Source)
[3] CHRZANOVSKI Laurent et KAISER Peter (dir.), Dark ages ? Licht im Mittelalter. L’éclairage au Moyen Âge, Milan, Historisches Museum Olten, 2007, [En ligne] (Source)
[4] Médailles sur les principaux évènements du règne entier de Louis le Grand avec des explications historiques, Paris, 1723, p. 92, [En ligne] (Source)
[5] KOSLOFSKY Craig, Evening’s Empire : A History of the Night in early modern Europe, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2011, p.131.
[6] Verheggen Emmanuel, « Pollution lumineuse et perte de biodiversité », in L’Homme et l’Oiseau, n°2, La pollution lumineuse, 2013, p. 29-30, [En ligne](Source)